L’AstroMinotaure, à l’Accessoire Théâtre – Lyon

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16 avril 2017 par nouvellesrepliques

Spectacle jeune public, à partir de 6 ans

 D’après « L’Astrominotaure, Corps perdu et Univers en expansion », de François Martin

Adaptation et mise en scène par Georgy Batrikian

Jeu : Georgy Batrikian et François Gelay

Création sonore : Jérôme Yven

Création vidéo : Riwan Tremureau

 Lorsqu’une curieuse et intrépide fillette de sept ans explore son environnement et s’aventure dans une grotte, où elle rencontre un étrange scientifique totalement absorbé par ses travaux et qui n’a guère envie de bavarder, la petite ne se démonte pas ! Bien au contraire, elle fait pleuvoir sur lui une pluie de questions, ne lui laissant guère le loisir de l’ignorer et de rester emmuré dans ses obsessionnels calculs qui le coupent du monde…

L’Enfant lui arrache donc une à une des informations qui l’intriguent, et suscitent immanquablement en elle de nouvelles interrogations. Elle découvre ainsi tout d’abord que le scientifique est plus précisément un astrophysicien, c’est-à-dire quelqu’un qui s’intéresse de particulièrement près aux planètes, aux étoiles, aux galaxies, à l’Univers… Et à leur fonctionnement ainsi qu’à leur origine, qu’il essaie lui-même de toutes ses forces de comprendre avec autant de précision et d’exactitude que possible. Et comme, évidemment, tous ces concepts sont assez complexes, l’Enfant et sa candeur poussent l’astrophysicien, d’abord bien malgré lui, à les lui expliquer en termes plus simples, grâce à des analogies et des comparaisons avec des éléments de son environnement familier. La soif de connaissance et l’envie de comprendre de la petite fille, ainsi que sa grande ouverture d’esprit et son imagination débordante, vont mener le dialogue, entre ces deux personnages qu’à priori rien ne devrait rapprocher, vers des réflexions de plus en plus poussées, inattendues, mêlant science, mythologie, philosophie et même métaphysique, dans un voyage de l’esprit jusqu’à une conclusion mettant l’accent sur le partage et l’émancipation par rapport à la peur de l’inconnu.

 

L’auteur de la pièce, François Martin, chercheur au CNRS en physique théorique, l’a écrite pour parler, au travers d’une explication de l’Univers et de ses origines aux enfants, du vertige que peut entraîner la réalisation de l’impossibilité de tout en comprendre et contrôler. En effet, même avec une énorme masse de connaissances et une méthode scientifique rigoureuse, son personnage d’Astrophysicien, fiévreusement interprété ici par François Gelay, ne parvient pas à résoudre tous les mystères de cet Univers qu’il tente désespérément de comprendre. Tout comme dans son dialogue avec l’Enfant, chaque question, et les réponses qui y sont apportées, soulèvent et suscitent de nouvelles questions, auxquelles dans certains cas la science n’a pas toujours réussi à trouver de solutions absolues.

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Fort heureusement, dans l’adaptation faite par Georgy Batrikian, qui s’adresse en priorité aux enfants de 6 à 10 ans, le discours se met à leur hauteur mais sans jamais les prendre pour des idiots. En effet, y sont abordées des questions à priori basiques comme les différentes planètes du système solaire, le fait que les étoiles sont toutes des soleils, regroupés dans d’immenses groupes d’étoiles eux-mêmes nommés galaxies, qui sont elles-mêmes extrêmement nombreuses dans l’immensité de l’Univers. Mais le spectacle ne se contente pas de si peu. L’Enfant, dont la soif de comprendre semble inextinguible, pousse le scientifique à lui expliquer par de pertinentes analogies des concepts tels que l’extrême et indépassable vitesse qu’est celle de la lumière, ou encore le temps et son apparition, simultanée voire conséquente de l’événement qu’est le Big Bang.  On s’amuse lorsqu’il lui explique que si la lumière met seulement une seconde à venir de la Lune jusqu’à la Terre, les spationautes de la NASA avaient besoin quant-à-eux de 8 jours pour s’y rendre, et que l’imagination sans limites de la petite la transporte, grâce à une projection vidéo, à la surface de notre satellite naturel après qu’elle ait compté cette fameuse seconde ! Les enfants rient encore plus lorsqu’une fois revenue, elle apprend qu’il faut compter jusqu’à 500 pour avoir une idée précise du temps que met la lumière à nous parvenir depuis le soleil, et qu’elle tente l’expérience. L’astrophysicien, de plus en plus intrigué par cette surprenante Enfant à l’imagination si puissante, s’implique alors de plus en plus dans sa quête de savoir, et l’aide à compter plus vite et efficacement, puis finit par la suivre dans ses explorations de plus en plus audacieuses de l’immensité du cosmos.

 

C’est là qu’intervient la notion centrale du texte de François Martin : le lâcher prise. En effet, le personnage de l’Astrophysicien est à la recherche du « corps perdu », ou peut-être plus précisément de la matière noire, éléments seulement appréhendables de façon théorique, et sa recherche désespérée est ce qui fait de lui une sorte d’ermite. C’est sa relation avec l’innocence et l’insouciance de l’Enfant qui va le mener vers ce lâcher prise salutaire, mais également terrifiant pour lui qui a besoin de tout comprendre et contrôler.

Ainsi, quand au début de la pièce les deux personnages parlent de la Terre et de sa rondeur, la petite lui dit que pourtant elle lui semble à elle, tout-à-fait plate. Il lui rétorque que c’était une croyance très répandue pendant longtemps, avant l’avènement  des méthodes scientifiques. Sont alors évoqués les mythes de l’Antiquité, où les gens s’imaginaient que le monde avait un bord au-delà duquel résidaient les dieux et les monstres. Une absurdité pour le scientifique, mais une idée fascinante et amusante pour la fillette. Or, une fois qu’il se laisse un peu aller à la suivre, le vertige de l’inconnu, de l’imaginaire, le frappe de plein fouet, telle une tempête de photons furieux et chaotiques, l’emplissant de terreur…

C’est alors l’Enfant qui va l’aider à accepter les limites de sa connaissance, et à ne pas se laisser dévorer par la peur de ce qu’il ne peut encore comprendre. Chacun apprend de l’autre, et grandit. L’Enfant grâce à toutes les nouvelles choses que le scientifique lui a expliquées et qui sont si fascinantes. L’Astrophysicien grâce à l’ouverture d’esprit salutaire que lui apporte la petite fille, faisant du Big Bang et de la troublante théorie d’un Univers en perpétuelle expansion non plus seulement des éléments scientifiques, mais aussi un conte fantastique dans lequel l’imagination peut trouver une place légitime.

 

La mise en scène de Georgy Batrikian met les enfants, ses spectateurs privilégiés, au cœur du spectacle. En effet, un élément assez troublant en début de représentation est que l’Enfant et l’Astrophysicien, lorsqu’ils s’adressent l’un à l’autre, ne se regardent pas vraiment mais gardent leurs yeux tournés vers la salle. Cela apporte une certaine étrangeté qui peut surprendre, voire déranger un public adulte, mais c’est en définitive terriblement efficace pour capter l’attention des enfants, qui se sentent impliqués, concernés par les questions posées et les réponses qui y sont apportées. Au point que, non retenus par la convention que les « grands » connaissent et qui veut qu’au théâtre on fasse silence, leur spontanéité les pousse à intervenir eux-mêmes, à répondre aux questions, à manifester leur désaccord quand quelque chose leur semble saugrenu, ou leur joie et leur approbation quand, en revanche, ils sont d’accord avec ce qui est dit.

De même, le recours à la vidéo, créée par Riwan Tremureaux, et judicieusement utilisée, est un facteur supplémentaire dans cette entreprise visant à installer un cadre intéressant et immersif pour les jeunes spectateurs. Les images sont belles et illustrent bien les idées développées dans les dialogues entre les deux personnages, leur apportant une dimension concrète. De plus, l’univers de l’enfance est encore davantage marié à celui de l’exploration scientifique par une sympathique variation au long du spectacle de la comptine « A la claire fontaine », revisitée par la musique électronique de Jérôme Yven et ponctuant les moments clé de l’intrigue.

Georgy Batrikian utilise également les ombres dans sa mise en scène, grâce à un drap derrière lequel l’Enfant va régulièrement, et qui permet de faire apparaître des formes étranges et mobiles aux tailles variables, souvent en mouvement dans une sorte de danse évocatrice d’images mystérieuses… C’est là un clin d’œil à l’Allégorie de la Caverne de Platon, renforçant à merveille le cœur du propos du spectacle puisqu’il s’agit de ne pas se contenter d’une vision trop simpliste des choses qui s’offrent spontanément au regard, mais au contraire d’aller au-delà, d’oser affronter l’inconnu pour apprendre toujours plus…

 

Enfin, à l’issue de la représentation, Georgy Batrikian et François Gelay viennent à la rencontre du public afin de répondre aux questions des enfants et stimuler chez eux et chez les parents le débat et les conversations, créant un moment de partage convivial. Nul doute que certains des jeunes spectateurs, fascinés par ce qu’ils auront appris ou compris en regardant « l’AstroMinotaure », auront envie par la suite de pousser plus loin la réflexion et demanderont aux adultes de les emmener, qui dans un observatoire, qui dans un planétarium, ou de leur trouver des livres développant les sujets abordés dans la pièce, voire de regarder des films ou des documentaires de vulgarisation scientifique consacrés à l’astrophysique. Et peut-être, qui sait, des vocations naîtront-elles chez certains d’entre eux, faisant ainsi germer les graines des chercheurs de demain ?…

 

Charles Lasry

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