La Parabole de Gutenberg, Théâtre des Clochards Célestes, Lyon
Poster un commentaire12 décembre 2019 par nouvellesrepliques
De Léa Carton de Grammont
PTUM CIE / Prends-toi un mur si t’es vivant
« Parabole : allégorie qui renferme quelque vérité importante. La parabole a deux parties, le corps et l’âme ; le corps est le récit de l’histoire qu’on a imaginée ; et l’âme, le sens moral ou mystique, caché sous les paroles ou récit » (Le Littré). Ce va-et-vient entre corps et âme, entre récit et sens, entre matière et esprit, est au cœur d’un spectacle plein de finesse et d’originalité, écrit et mis en scène par Léa Carton de Grammont.
Tout commence par la collusion entre un homme et une femme. Lui, Ganzfleisch, en blanc de travail, s’affaire à peindre en noir une immense plaque où l’on devine les lettres « GANZFLEICSH ». Elle, Ilse, en tenue casual-chic, les bras plein de feuilles de papier, lui rentre dedans. La plaque de Ganzfleisch tombe sur le sol, ses lettres s’ancrent sur le revêtement blanc : en cinq secondes, l’imprimerie est née. Voilà un nouveau récit de grand hasard fortuit, sur le modèle de la pomme de Newton.
Mais si les corps se sont heurtés de plein fouet, la rencontre entre les esprits des deux personnages est plus lente. Ganzfleish et Ilse, l’un et l’autre assez maladroit.es, semblent tourner autour d’un objet insaisissable. Peu à peu la parabole apparaît aux yeux du public. De quoi est donc constituée cette Parabole de Gutenberg ? Son corps, c’est l’imprimerie, et le désir de Ganzfleisch de reproduire un texte de Ilse intitulé Petit Traité d’érotisme à l’usage des corps débordants. Son âme, c’est ce qui déborde de ce désir d’impression. Car l’impression, en même temps qu’elle grave dans la matière une pensée, échoue à la saisir entièrement. Quelque chose échappe toujours. Quelque chose échappe toujours à l’impression, quelque chose échappe toujours à la relation. La pièce est donc le récit d’un manque, de ce qui se dérobe.
Plus les deux personnages tentent de se comprendre, plus ils s’éloignent. Plus Ganzfleisch s’obstine à saisir l’esprit du Petit traité d’érotisme à l’usage des corps débordants, plus il s’éloigne du seul corps qu’il pourrait étreindre, celui de Ilse. Et c’est bien ce corps féminin qui est au cœur de la pièce, et plus précisément le désir, les désirs féminins. Léa Carton de Grammont réussit avec brio ce glissement de la Parabole de Gutenberg au désir féminin. Lorsque les fils se relient, à un certain moment du spectacle, on comprend qu’il n’était question que de cela, depuis le début. Et tout s’éclaire. Je pense qu’il ne faut pas en dire beaucoup plus pour laisser aux futurs spectateurs et spectatrices la joie de cette expérience.
Ce spectacle court, sobre et délicat, s’appuie sur une vraie proposition scénographique. On pourrait presque parler d’une scénographie des accessoires : grandes feuilles blanches, énormes tampons graveur, vis, tournevis, ficelles, papiers, encre, etc. L’espace s’encombre peu à peu de matières, qui finissent par étouffer ou épuiser les corps. Cette quantité d’accessoires implique une constante manutention et un effort physique pour les deux comédiens. Ce que l’on peut d’abord percevoir comme une surabondance futile et laborieuse se transforme petit à petit en une lutte contre la matière. Le spectacle est ainsi soutenu par une cohérence dramaturgique constante et souvent ingénieuse.
Novateur, vif et engagé, La Parabole de Gutenberg est une belle découverte de cette saison !
S.Titon du Tillet