« Planète Plastique », par la compagnie Théâtre du Bruit, à la MJC Jean Macé – Lyon
Poster un commentaire6 mars 2018 par nouvellesrepliques
Avec Marie Berger, Titouan Bodin, Juliette Bruckert, et Alex Repain
Ecriture et mise en scène : Jonathan Lobos
Création Lumière, régie : Fanny Revel
Création musique : Stéphane Chamolt
Scénographie : Marion Gervais
Costumes : Marie-Pierre Morel-Lab
Quoi de plus commun que le plastique ? Qu’y a-t-il de plus présent dans nos vies quotidiennes que cette matière polymorphe, aux millions d’usages différents possibles, que ce soit dans nos industries, dans nos infrastructures, dans nos moyens de transport, dans nos loisirs, dans nos sacs, qu’ils soient à main ou à dos, ou bien encore sur nos corps, dans les fibres mêmes des vêtements que nous portons ? Pourtant, cette ressource quasi magique issue de la pétrochimie, que les trublions d’Elmer Food Beat qualifiaient même de « fantastique » en 1990, et qui sans conteste nous simplifie la vie à bien des égards, est aussi un véritable poison ! En effet, n’étant pas (ou alors à une échelle temporelle bien trop grande) biodégradable, le plastique, ou plutôt devrions-nous dire leS plastiqueS, une fois utilisés puis jetés, constituent l’une des plus grandes sources de pollution de la planète. Incinérés, ils dégagent des gaz toxiques dégradant l’atmosphère et contribuant à l’effet de serre ; enfouis, ils représentent un risque de contamination pour les nappes phréatiques ; enfin, comme c’est malheureusement beaucoup trop souvent le cas, négligemment jetés dans les mers et les océans, ils dérivent au gré des courants puis, pris dans des gyres (tourbillons marin à l’échelle d’un bassin océanique, formés par la réunion d’un ensemble de courants), il s’agglutinent pour former de gigantesques bancs de déchets, semblables à de véritables continents grands comme plusieurs fois la taille de notre pays.
C’est à partir de ce constat désolant que Jonathan Lobos et la compagnie Théâtre du Bruit ont créé, il y a déjà près de deux ans, leur spectacle, « Planète Plastique », qu’ils continuent à faire vivre aussi bien dans des théâtres qu’en plein air. On y suit les mésaventures de Théo, employé de l’usine « Octoplastique » figurant le complexe industriel de production de plastiques à l’échelle globale, simple rouage d’une gigantesque machine qui le dépasse et ne lui accorde aucune considération, ainsi que celles d’une scientifique inquiète pour l’environnement, qui s’embarque sur le bateau d’un capitaine un peu marin d’eau douce, afin d’enquêter sur la formation du « septième continent », l’un des gigantesques agglomérats de déchets plastiques cités précédemment. Tous deux confrontés à la mauvaise foi, à un manque d’écoute, voire à un manque de scrupules de leur entourage, chacun.e d’eux va traverser des situations ubuesques, mais aussi hautement burlesques, avant d’arriver à une bien surprenante destination finale, propice à créer réflexion et débats parmi le public.
Entre les péripéties traversées par ces deux personnages, ce sont les comédien.ne.s qui, en tant que tel.le.s, présentent à l’assistance, là encore avec beaucoup d’humour et dans une forme très ludique, un historique de l’apparition dans nos sociétés des matières plastiques et de leurs divers usages et applications depuis leur découverte et au fil des progrès technologiques, ainsi que des raisons pratiques et économiques qui ont favorisé leur expansion à l’échelle globale. C’est également là l’occasion d’expliquer en toute simplicité comment ces matières plastiques impactent non seulement l’environnement, mais aussi nos propres organismes par leur omniprésence dans nos vies, notamment via les perturbateurs endocriniens.
Ce pan didactique et engagé du spectacle aurait pu être rébarbatif, mais ne l’est heureusement pas du tout, et ce grâce à son côté ludique comme je le disais précédemment, ainsi que par la volonté manifeste de ne jamais être moralisateur ou donneur de leçon. Les usages positifs du plastique ne sont pas occultés, bien au contraire. La scénographie par exemple, en tire habilement parti, mettant à profit une bâche bleue pour figurer l’océan et ses vagues, et utilisant une grande quantité de sacs pour la confection d’une grande sculpture, un kraken de plastique translucide, haut de 3,50m, qui s’illumine à des moments clé de l’histoire et figure le 7ème continent. De même, les costumes sont élaborés dans des matières plastiques et les accessoires sont à l’avenant. Jusqu’à la création sonore du spectacle, qui est elle-même composée de musiques synthétiques et bruitages générés via des objets en plastique.
Après un peu plus d’une heure de spectacle, au cours de laquelle on a beaucoup ri, et pas mal appris et réfléchi, les deux trames de l’histoire de « Planète Plastique » finissent par se rejoindre dans un ailleurs temporel et géographique fantasmé, où Théo, personnage aussi amusant qu’attachant grâce à l’excellente interprétation de Titouan Bodin , fait l’émouvante rencontre d’une créature hybride, vision poétique plutôt que fataliste de ce que pourrait être la vie dans un monde qui aurait muté, entièrement phagocyté par le plastique. Comme une invitation pour le public à poursuivre, une fois sorti de la salle, le débat et la réflexion, à imaginer ensemble des moyens pour les jeunes générations, auxquelles ce spectacle parlera le plus, mais aussi pour ceux qui n’avaient jusque-là pas encore pris conscience de l’ampleur des problèmes liés à la pollution plastique, de fonder des modèles de consommation différents et des filières de recyclage plus efficaces, afin de préserver cette planète, sa faune et sa flore, pour un avenir plus sain.
Charles Lasry