Madame Diogène, Théâtre des Marronniers – Lyon

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23 mars 2017 par nouvellesrepliques

D’après le roman d’Aurélien Delsaux

Compagnie l’Arbre

Jeu : Jeanne Guillon

Adaptation et mise en scène : Aurélien Delsaux

Lumières : Laurent Basso

 Quand on va voir un spectacle intitulé « Madame Diogène » vierge de toute information préalable sur la pièce, on s’attend à trouver une scène encombrée, un décor « foutraque » constitué de tout un tas d’objets hétéroclites et improbables comme de vieux annuaires datant de Pépin le Bref, de dizaines de paires de chaussures dépareillées, de bibelots immondes et kitsch, de gadgets aussi encombrants qu’incongrus… Bref, on imagine le capharnaüm résultant de l’accumulation compulsive d’objets inutiles qu’entraîne la maladie méconnue qu’est le syndrome de Diogène. Empruntant son nom au philosophe Grec Diogène de Sinope, qui pour éviter toute dépendance aux choses matérielles et élever son âme, avait élu domicile dans une amphore retournée, ou un tonneau, dans lequel il vivait parmi ses propres immondices, il survient en général chez des personnes âgées et seules qui, suite à une perte importante et traumatisante comme celle d’un être cher, perdent aussi la faculté de jeter quoi que ce soit par peur de manquer, et vivent conséquemment dans des conditions de plus en plus précaires et insalubres, ne se préoccupant plus même de leur propre hygiène corporelle… C’est donc à contre-pied que nous cueille la scénographie épurée choisie par la Compagnie l’Arbre, puisque sur la scène ne sont présents pour seuls décor et accessoires qu’un vieux tapis défraîchi, ainsi que deux seaux ! Dans les gradins, on cogite…

Le noir se fait, et puis, au bout de quelques instants, comme par magie, apparaît une femme, pieds nus dans une robe informe, ses longs cheveux en désordre dissimulant son visage, sorte de vision étrange et dérangeante tel un fantôme de film asiatique ! Un certain malaise parcourt le public… Puis cette figure étrange se met à se mouvoir et des mots s’échappent de sa bouche, comme mus par leur volonté propre. On ne sait toujours pas vraiment quelle est la nature de cet être qui nous fait face et dont les attitudes et les paroles sont tour à tour empreintes de gravité, de mystère, d’exubérance. Est-ce bien une femme ou est-ce quelque étrange enfant sauvage à l’animalité exacerbée ? Non, c’est une vieille dame. Non, c’est une folle perdue. Non-non-non ! Ou peut-être bien que oui, oui, et oui !… C’est Madame Diogène, tout simplement. C’est un être hybride.

Jeanne Guillon, dont l’interprétation est saisissante autant que par moments dérangeante, parvient à merveille dans ce spectacle à nous faire découvrir les reliefs et la complexité de l’âme de son personnage. Cette Madame Diogène, certes, sur le papier, c’est officiellement une vieille dame qui vit seule dans un HLM. Elle est aussi quasiment une recluse car la seule personne qu’elle autorise, et encore, contrainte et forcée, à pénétrer dans son antre, c’est une nièce qui semble encore se soucier d’elle et tenter de veiller à ce qu’elle continue à vivre et à se nourrir. Et surtout, c’est une dame qui fait parler ses voisins. Ces derniers cancanent dans la cage d’escalier. Qu’est-ce qu’elle peut bien faire toute la journée dans son appartement dont elle ne sort jamais, cette vieille toquée ? Et comment est-ce que l’odeur qui s’infiltre sous sa porte peut être aussi nauséabonde ? Est-ce bien raisonnable et responsable de la laisser vivre toute seule dans ces conditions ? Est-elle-même encore en vie ?

La comédienne prête sa voix à toutes ces autres voix indiscrètes, moqueuses, médisantes, parfois sincères dans leur sollicitude… Mais qui sont toujours perçues comme d’insupportables agressions par une Madame Diogène dont le seul désir est qu’on cesse de se préoccuper d’elle et qu’on lui fiche enfin une paix royale !

jeanne

Quand Madame Diogène se raconte, on ne sait vraiment si c’est à nous ou à elle-même, mais ses mots sont évocateurs et son regard, souvent lointain, l’est aussi. Nul besoin finalement de surcharger la scène avec tout un tas de choses, d’objets, d’encombrants… Elle nous fait elle-même voyager à travers les méandres créés par les empilements de choses et leur géographie. On les voit, ces couloirs, ces chemins, ces montagnes où chaque chose a une place bien précise dans son esprit. Dans sa solitude, elle a elle-même modelé au fil des années son propre univers avec ses lieux familiers, ceux dans lesquels elle aime se poser et qui font resurgir souvenirs et pensées autrement disparus. Certains d’une beauté confondante, d’autres d’une étrangeté, d’une tristesse ou encore d’une cruauté troublantes.

Ce qui est certain, c’est que la vie de Madame Diogène, qui pourrait sembler terriblement triste et précaire à une personne non avertie, est bien plus riche qu’il n’y parait au premier abord. Mais elle est inacceptable vue de l’extérieur. Comment admettre qu’un être humain puisse vivre si seul et dans des conditions pareilles ? « Il faut l’aider ! », disent ses voisins et la société. Et plus encore : « Il faut l’empêcher de se nuire à elle-même, il faut la protéger ! », mais ce raisonnement qui semble tellement sensé et bienveillant vu de l’extérieur, est une insupportable ingérence pour celle dont la vie intérieure, pleine de poésie et de rêves, se contente tout-à-fait d’elle-même et ne veut plus rien avoir à faire avec le monde du dehors. Qui a raison, qui a tort ? Bien difficile de le dire au terme d’un spectacle qui semble être une sorte de chant du cygne pour son personnage-titre… Et c’est bien là que réside la force de cette pièce, de sa mise en scène et de son interprétation fiévreuse, ainsi que de leur impact sur un public du Théâtre des Marronniers visiblement plus que séduit !

L’auteur de ces lignes regrette tout-de-même en sortant du théâtre d’avoir été maintenu à une certaine distance émotionnelle par une étrangeté du jeu et un symbolisme dans la mise en scène un peu trop intenses à son goût, rendant, par moments, l’identification problématique et le sens profond de ce qui était montré un peu sibyllin. Peut-être aurait-il été davantage séduit et touché par un final moins intellectualisé et plus limpide…

Il reste cependant profondément marqué par cette créature étrange et complexe, aux facettes variées et insoupçonnées, et à l’univers intérieur surprenant, auxquels Jeanne Guillon donne une présence d’une puissance incontestable.

Charles Lasry

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